La dynastie chinoise des Ming s’effondra en 1643 après trois siècles de règnes brillants ponctués de nombreux massacres et purges. La contestation paysanne de Li Zheng avait préparé involontairement le terrain aux coups de boutoir des envahisseurs mandchous qui profitèrent du chaos qui régnait alors dans l’empire.
Qu’allaient devenir les cadres inemployés : membres de la famille impériale élargie, mandarins, scribes, lettrés et autres intellectuels comme on dit aujourd’hui ? Il était d’usage sous les Ming de trucider les nobles, fonctionnaires et savants trop attachés aux souverains victimes de coups d’Etat ou, au contraire, d’éliminer ceux qui avaient participé à des putschs avortés. L’empereur Hongwu aurait ainsi fait tuer plus de 50 000 des partisans et suiveurs de son premier ministre rebelle Hu Weiyong autour de 1380. Vingt ans plus tard un frère de cet empereur élimina le fils de ce dernier et héritier légitime du trône en faisant passer de vie à trépas un nombre équivalent de ses partisans malchanceux. En Chine, l’unité en matière de règlements de comptes politiques est de l’ordre de la dizaine de milliers … Quoi qu’il en soit l’Histoire ne lui en tint pas rigueur et le célèbre aujourd’hui encore comme le grand souverain qui règna sous le nom de Yongle.
Peu à peu les empereurs Ming mirent en place un système à la fois décentralisé dans ses structures agraires et administrativement pyramidal avec le grand roi, comme on dit en chinois, au sommet. Ce pays immense peuplé de 200 millions d’habitants, un chiffre énorme à l’époque, put ainsi s’ouvrir à l’Europe et même à l’Amérique latine qui commençait à peine à être explorée. La croissance économique permit la floraison d’une vie intellectuelle et artistique brillantissime.
Que faire à nouveau de cette intelligentsia quand l’envahisseur mandchou prit le pouvoir ? Fallait-il l’occire au risque de perpétuer le ressentiment et la guerre civile qui dura quand même près de trente ans ? Visionnaire et sage, l’empereur Kangxi, qui régna 61 ans, pour éviter qu’ils ne s’engagent dans de vaines entreprises, laissa vivre ses opposants en ermites dans des montagnes reculées afin d’y écrire, peindre et philosopher. Ainsi la nouvelle dynastie obtint-elle la tranquillité. Dans la région des monts jaunes notamment ces artistes s’employèrent à réinterpréter les codes de la peinture millénaire chinoise : la montagne et l’eau, le sage environné par la quiétude et la beauté, le tout représenté de manière quasi-immuable, dans des plans à la perspective maladroite mais qui ne visaient qu’à magnifier l’intégration de l’homme à la nature. Une forme de matérialisme et de rousseauisme avant l’heure conjuguait résignation sociale et épanouissement spirituel. Peut-on d’ailleurs monter sur les plus hautes marches de l’art en restant juché sur celles du pouvoir ?
C’est bien parce que Mao Zedong ne sut pas reprendre ces pratiques d’exil intérieur que la Chine communiste sacrifia ses lettrés trois siècles plus tard. L’exposition du musée Cernuschi n’a pas fait grand bruit mais elle a pourtant présenté un ensemble exceptionnel de plus de cent chefs-d’œuvre de la peinture chinoise ancienne.
Avant d’être offertes au musée d’art de Hong Kong en 2018, ces pièces avaient été rassemblées par un collectionneur, Ho Iu-kwong (1907-2006), qui, selon la tradition chinoise, leur a donné le nom de Chih Lo Lou, "Le pavillon de la félicité parfaite ».
La peinture chinoise est souvent déroutante pour l’amateur occidental car la tradition de la répétition des maîtres anciens est la valeur dominante, bien avant celle de l’innovation. Il est donc difficile de distinguer des oeuvres peintes sous les Song (960-1279) ou les Ming. Les citations sont trop fréquentes et les évolutions trop ténues pour nous être tout à fait intelligibles. Au terme du parcours de Cernuschi on parvient néanmoins à saisir les efforts de simplification du langage pictural de certains peintres célèbres comme Shen Zhou (1427-1509) ou Wen Zhengming (1470-1559).
Bien que conscient de la fragilité de ces oeuvres il reste néanmoins à regretter la quasi-obscurité aux tons bistre dans laquelle le visiteur est plongé et qui semble une nouvelle mode muséale. Un éclairage plus intense mais plus indirect serait peut être une solution pour que le caractère énigmatique et répétitif de certaines oeuvres ne soit pas accentué par une représentation presque fatigante.
Mis à part cette petite frustration il faut se féliciter de vivre dans une ville capable de présenter des ensembles si rares et précieux.
Qu’allaient devenir les cadres inemployés : membres de la famille impériale élargie, mandarins, scribes, lettrés et autres intellectuels comme on dit aujourd’hui ? Il était d’usage sous les Ming de trucider les nobles, fonctionnaires et savants trop attachés aux souverains victimes de coups d’Etat ou, au contraire, d’éliminer ceux qui avaient participé à des putschs avortés. L’empereur Hongwu aurait ainsi fait tuer plus de 50 000 des partisans et suiveurs de son premier ministre rebelle Hu Weiyong autour de 1380. Vingt ans plus tard un frère de cet empereur élimina le fils de ce dernier et héritier légitime du trône en faisant passer de vie à trépas un nombre équivalent de ses partisans malchanceux. En Chine, l’unité en matière de règlements de comptes politiques est de l’ordre de la dizaine de milliers … Quoi qu’il en soit l’Histoire ne lui en tint pas rigueur et le célèbre aujourd’hui encore comme le grand souverain qui règna sous le nom de Yongle.
Peu à peu les empereurs Ming mirent en place un système à la fois décentralisé dans ses structures agraires et administrativement pyramidal avec le grand roi, comme on dit en chinois, au sommet. Ce pays immense peuplé de 200 millions d’habitants, un chiffre énorme à l’époque, put ainsi s’ouvrir à l’Europe et même à l’Amérique latine qui commençait à peine à être explorée. La croissance économique permit la floraison d’une vie intellectuelle et artistique brillantissime.
Que faire à nouveau de cette intelligentsia quand l’envahisseur mandchou prit le pouvoir ? Fallait-il l’occire au risque de perpétuer le ressentiment et la guerre civile qui dura quand même près de trente ans ? Visionnaire et sage, l’empereur Kangxi, qui régna 61 ans, pour éviter qu’ils ne s’engagent dans de vaines entreprises, laissa vivre ses opposants en ermites dans des montagnes reculées afin d’y écrire, peindre et philosopher. Ainsi la nouvelle dynastie obtint-elle la tranquillité. Dans la région des monts jaunes notamment ces artistes s’employèrent à réinterpréter les codes de la peinture millénaire chinoise : la montagne et l’eau, le sage environné par la quiétude et la beauté, le tout représenté de manière quasi-immuable, dans des plans à la perspective maladroite mais qui ne visaient qu’à magnifier l’intégration de l’homme à la nature. Une forme de matérialisme et de rousseauisme avant l’heure conjuguait résignation sociale et épanouissement spirituel. Peut-on d’ailleurs monter sur les plus hautes marches de l’art en restant juché sur celles du pouvoir ?
C’est bien parce que Mao Zedong ne sut pas reprendre ces pratiques d’exil intérieur que la Chine communiste sacrifia ses lettrés trois siècles plus tard. L’exposition du musée Cernuschi n’a pas fait grand bruit mais elle a pourtant présenté un ensemble exceptionnel de plus de cent chefs-d’œuvre de la peinture chinoise ancienne.
Avant d’être offertes au musée d’art de Hong Kong en 2018, ces pièces avaient été rassemblées par un collectionneur, Ho Iu-kwong (1907-2006), qui, selon la tradition chinoise, leur a donné le nom de Chih Lo Lou, "Le pavillon de la félicité parfaite ».
La peinture chinoise est souvent déroutante pour l’amateur occidental car la tradition de la répétition des maîtres anciens est la valeur dominante, bien avant celle de l’innovation. Il est donc difficile de distinguer des oeuvres peintes sous les Song (960-1279) ou les Ming. Les citations sont trop fréquentes et les évolutions trop ténues pour nous être tout à fait intelligibles. Au terme du parcours de Cernuschi on parvient néanmoins à saisir les efforts de simplification du langage pictural de certains peintres célèbres comme Shen Zhou (1427-1509) ou Wen Zhengming (1470-1559).
Bien que conscient de la fragilité de ces oeuvres il reste néanmoins à regretter la quasi-obscurité aux tons bistre dans laquelle le visiteur est plongé et qui semble une nouvelle mode muséale. Un éclairage plus intense mais plus indirect serait peut être une solution pour que le caractère énigmatique et répétitif de certaines oeuvres ne soit pas accentué par une représentation presque fatigante.
Mis à part cette petite frustration il faut se féliciter de vivre dans une ville capable de présenter des ensembles si rares et précieux.